Propos général de la journée d’étude
Loin d’être insensibles au constat généralisé d’une Terre en souffrance, les artistes ont su s’inscrire dans un positionnement face aux urgences d’une nature et d’un monde malmenés (Gustav Metzger dès les années 1950 en Angleterre parmi ces artistes pionniers, Joseph Beuys affilié au parti des Verts – Die Grünen – dès leur apparition en Allemagne, ou encore Loïs Weinberger « artiste, botaniste, archéologue »).
Les chorégraphes ne font pas exception avec, depuis des décennies, une écoute de la nature jusqu’à des engagements éco-politiques significatifs. Rudolph von Laban et la constellation d’artistes réunie dans la communauté de Monte Verità, au début du XXe siècle, ou Isadora Duncan imprégnée des mouvements de l’océan Pacifique où elle vivait, ont ouvert la voie. Le cours de l’histoire des années 1960, et au-delà, verra par la suite émerger des personnalités marquantes dont Anna Halprin et sa conception d’un dance desk construit par son mari architecte paysagiste dans la forêt de séquoias de leur maison de Californie (attirant quantité d’artistes de Merce Cunningham à John Cage), mais aussi à l’origine également du rituel Circle the Earth.
En France, des collaborations comme celle de Régine Chopinot avec le plasticien Andy Goldsworthy, née de la nécessité de « retrouvailles avec l’arbre que je suis »[1] (selon ses mots), fera pleinement sens au regard de l’évolution de notre perception du monde sensible.
Cette aimantation revêt aujourd’hui plus que jamais des aspects aux accents de conscientisation de l’état du monde et du besoin de se reconnecter à lui.
Les expériences partagées dans le cadre de l’Atelier de recherche et de création (ARC), initié en 2020 par l’ENSAD Dijon (École nationale supérieure d’art et design de Dijon), Martine Le Gac et moi-même accompagnées d’étudiant·es, en partenariat étroit avec Le Dancing (CDCN – Centre de développement Chorégraphique national – Dijon Bourgogne Franche-Comté), témoignent d’approches multiples privilégiant un rapport réinventé à la nature.
Un aperçu de ce large prisme de façons d’être au monde, formulées en gestes et autres médiums au gré des chorégraphes invité.e .s, sera proposé lors de cette journée. Ainsi, nous transiterons du mythe de la forêt lié à des formes d’ensauvagement (Lenio Kaklea) à l’inscription de soi dans le paysage et l’environnement (Laurent Pichaud et sa pratique de l’in situ ou Mathias Poisson en qualité d’artiste promeneur), via l’héritage de grandes figures de la modernité en matière de pensée fondatrice de l’éco-féminisme (Anne Collod).
Bien d’autres exemples pourraient éclairer ces modes d’interagir, si l’on songe aux gestes premiers tel que « construire un feu » (imaginé par Le collectif La Tierce), à l’aspiration à puiser dans des mythes anciens pré-inca, revisitant l’idée du rituel et du collectif (Marcela Santander Corvalan), approchées lors de nos séances d’ARC.
Ces problématiques prolongent à leur manière la réflexion engagée par Frédéric Bonnemaison, créateur en 1999 du festival Entre cour et jardins en Bourgogne, attaché à l’idée de faire du jardin un espace scénique et d’ « expérimenter des lieux de nature »[2]. C’est cet événement avec ses ouvertures (aujourd’hui porté par le CDCN, Le Dancing), qu’évoqueront Frédéric Seguette, son directeur et Mélanie Garziglia, à ses côtés, dans l’engagement qui est le leur.
Patricia Brignone